POE (E. ALLAN)

POE (E. ALLAN)
POE (E. ALLAN)

Écrivain américain dont on retiendra au premier chef l’éclectisme, Edgar Poe, bien que sa célébrité repose plus particulièrement sur quelques contes fantastiques ou policiers et deux ou trois poèmes, s’est en réalité illustré dans tous les genres littéraires: critique, essai, conte, roman, poésie, dialogue et traité philosophiques. Sa vie et son œuvre ont toujours donné lieu à des débats passionnés et suscité des commentaires contradictoires, tant chez les critiques que parmi les écrivains de tout premier rang. De plus, l’estime où l’on tient l’œuvre de Poe en France depuis que Baudelaire consacra tous ses efforts à la traduire et à la commenter constitue encore aux yeux de certains Américains un des plus étonnants mystères de l’histoire littéraire. Les controverses d’ordre biographique ont été, pour la plupart, suscitées par le mémoire calomniateur que le révérend Rufus Griswold publia peu après sa mort par dépit ou jalousie. Les nombreuses études psychanalytiques de l’œuvre et de la personnalité d’Edgar Poe ont prolongé ce débat qui conserve toute son actualité et s’organise principalement autour des sources de son génie: folie ou maîtrise artistique supérieure.

L’existence d’un publiciste

Né à Boston, fils d’Elisabeth Arnold, comédienne de talent, et de l’acteur David Poe Jr., orphelin dès 1811, Poe est recueilli par John Allan, un riche négociant de Richmond (Virginie) qui ne l’adoptera jamais officiellement. Il reçoit l’éducation traditionnelle des jeunes Virginiens, tant en Écosse et en Angleterre où sa famille vit de 1815 à 1820 qu’à Richmond puis à l’université de Virginie (1826) où il fait d’excellentes mais brèves études: irrité par des dettes de jeu, Allan l’en retire après quelques mois. À la suite de querelles avec son «père adoptif», il s’enfuit à Boston où il parvient à publier Tamerlane and Other Poems (1827), qui ne rencontre aucun succès. Il s’engage dans l’armée américaine sous le nom d’Edgar Perry. Une éphémère réconciliation avec Allan lui permet de quitter l’armée et d’obtenir sa nomination à West Point, après un bref séjour à Baltimore où il publie Al Aaraaf, Tamerlane and Minor Poems (1829). Après la mort de Frances Allan, le second mariage de John Allan consomme la rupture. Incapable de se plier à la discipline de l’école militaire, Poe néglige volontairement son travail et se fait renvoyer. Son passage à New York est marqué par la publication de la Seconde Édition des poèmes (Poems, Second Edition , 1831), titre par lequel il paraît désavouer son premier recueil.

On perd sa trace l’année suivante, mais l’on sait aujourd’hui qu’il ne se rendit pas en Russie comme il tenta de le faire croire. Il séjourne probablement à Baltimore, chez sa tante Maria Clemm, et soumet cinq contes à un concours organisé par le Saturday Courier de Philadelphie. Il n’obtient pas le prix, mais ses contes sont publiés dans le courant de l’année 1832. En 1833, le Manuscrit trouvé dans une bouteille (MS. Found in a Bottle ) triomphe au concours du Saturday Visiter de Baltimore. L’un des membres du jury, le romancier John P. Kennedy, le recommande à T. W. White, propriétaire du Southern Literary Messenger de Richmond, qui, après avoir publié certains de ses contes (Morella, Berenice ) et quelques articles critiques, l’engage en 1835 comme rédacteur adjoint. La critique intrépide de Poe, qui s’attaque aux fades romanciers et poètes de New York et de Boston, vaut notoriété et fortune à la revue virginienne.

En mai 1836, il épouse sa cousine Virginia Clemm, alors âgée de quatorze ans, qui vient s’installer à Richmond avec Maria Clemm. Il fournit un travail écrasant, assure la quasi-totalité de la section de critique de la revue et donne de nombreux contes qu’il ne parvient pas à publier en volume sous le titre proposé de Tales of the Folio Club (Contes du club de l’In-Folio ). La collaboration avec le tatillon White, qui reproche à Poe sa verve satirique et quelques rares ivresses, devient de plus en plus difficile: Poe abandonne le Southern Literary Messenger en 1837, interrompant la publication des Aventures d’Arthur Gordon Pym (The Narrative of Arthur Gordon Pym of Nantucket ) qui y paraissaient en feuilleton. De son séjour à New York où il se rend en 1837, on ne sait rien sinon que le poste espéré à la New York Review lui échappe et qu’il parvient à publier Gordon Pym chez Harper.

En 1838, Poe est à Philadelphie où, après avoir publié un manuel de conchyliologie presque entièrement plagié, il devient rédacteur en chef du Burton’s Gentleman’s Magazine. Contrarié par l’autorité de William Burton, il ne fait paraître qu’une œuvre critique médiocre, où il faut savoir lire entre les lignes. Mais quelques grands contes, notamment La Chute de la maison Usher (The Fall of the House of Usher ), paraissent dans le Gentleman’s Magazine. Déjà sa seule ambition est de posséder une grande revue, qu’il baptise successivement The Penn puis The Stylus ; ce projet ne verra jamais le jour.

Sous la direction libérale de George Graham, qui rachète le journal de Burton en 1840, Poe fait du Graham’s Magazine une revue littéraire remarquable, tant par la qualité de ses comptes rendus et de ses manifestes (Exordium ) que par l’originalité de ses nouveaux contes (A Descent into the Maelstrom, Une descente dans le Maelström; The Man of the Crowd, L’Homme des foules; The Masque of the Red Death, Le Masque de la mort rouge ), histoires policières (The Murders in the Rue Morgue, Double Assassinat dans la rue Morgue ) ou dialogues philosophiques (The Colloquy of Monos and Una, Colloque entre Monos et Una ). Il parvient enfin à publier ses contes en recueil, mais Tales of the Grotesque and Arabesque (1840) se vendent mal. C’est pourtant la période la plus glorieuse de sa vie: ses meilleurs contes paraissent dans les grandes revues de l’époque: Ligeia (1838), La Chute de la maison Usher (1839), William Wilson (1840), Eleonora (1842), Le Masque de la mort rouge (1842), Le Cœur révélateur (The Tell-Tale Heart, 1843), Le Chat noir (The Black Cat, 1843), Le Scarabée d’or (The Gold Bug, 1843).

Après deux ans de collaboration indépendante à diverses revues, Poe, qui a quitté Graham dont la politique de facilité lui répugne, se rend à New York et se heurte à l’hostilité des puissants rédacteurs du Knickerbocker et de leurs alliés, qui ne lui pardonnent pas ses cinglantes dénonciations de leur médiocrité et de leurs intrigues. N. P. Willis lui procure un poste subalterne à l’Evening Mirror de New York, mais la publication du Corbeau (The Raven ) le 29 janvier 1845 lui assure une célébrité immense et instantanée.

Engagé par C. F. Briggs, directeur du Broadway Journal, Poe parvient bientôt à s’assurer le contrôle du journal. Il assume toutes les tâches de gestion et de direction. Sa critique se fait virulente: il pourfend Longfellow, les Bostoniens et les Knickerbockers. Mais son œuvre créatrice est mince: il se contente de donner des versions révisées de la plupart de ses contes. Grâce à Evert A. Duyckinck, il parvient à publier une sélection de ses contes et un recueil de poèmes dans le courant de 1845: Tales et The Raven and Other Poems.

Des liaisons, probablement platoniques, avec Mrs. Frances S. Osgood, Ann C. Lynch, Mrs. Elisabeth F. Ellet entraînent de sordides querelles qui ternissent sa réputation. Le Broadway Journal fait faillite dans les premiers jours de 1846. Poe se retire à Fordham dans une modeste chaumière, où il mène une vie calme mais misérable auprès de Virginia et de Mrs. Clemm. La Genèse d’un poème (Philosophy of Composition ), un commentaire minutieux sur la genèse du Corbeau , paraît en 1846, ainsi qu’une série de portraits sarcastiques des écrivains new-yorkais, The Literati of New York City. Les deux ouvrages suscitent de nombreuses réactions défavorables. L’œuvre majeure de cette époque est La Barrique d’amontillado (The Cask of Amontillado ), peut-être le plus rigoureux de ses contes.

Virginia meurt en 1847. Gravement malade, Poe est sauvé par Mrs. Marie Louise Shew à laquelle il dédie quelques poèmes médiocres qui font contraste avec l’énigmatique Ulalume , une de ses œuvres sur laquelle l’accord se fait le moins aisément.

1848 marque à la fois la culmination de son art avec Eureka , poème en prose sur la structure de l’Univers, et le début de sa dégénérescence physique et mentale. Il rédige aussi son testament critique, Le Principe poétique (The Poetic Principle ), qui ne sera publié qu’après sa mort. Une liaison très romanesque avec Mrs. Sarah Helen Whitman n’aboutira pas au mariage qu’il souhaitait. Sa vie sentimentale se fait désordonnée: il tombe, ou prétend tomber amoureux de Mrs. Richmond (To Annie ) puis de Mrs. Shelton (Elmira Royster), son ancienne fiancée de Richmond devenue veuve.

Il voyage de façon fébrile, absorbe (pour la première fois, semble-t-il) une dose énorme de laudanum, s’enivre atrocement à Philadelphie et parvient enfin à Richmond où il passe un été heureux en 1849. Il est chaleureusement reçu, donne des conférences, compose Annabel Lee qui ne paraîtra qu’après sa mort.

Le 3 octobre 1849, on le découvre inconscient dans la rue à Baltimore. Les causes exactes de sa mort demeurent un mystère, bien qu’on ait parlé de lésion au cerveau, de delirium tremens et, plus récemment, de diabète.

Un écrivain moderne

La critique

Journaliste par nécessité, Poe fut un critique implacable qui, dans ses meilleurs morceaux, fonda une critique textuelle où certains voient les premières manifestations de la nouvelle critique américaine. Il lutta avec passion contre les influences européennes et fit beaucoup pour réduire le crédit accordé aux auteurs de tradition européenne et aux mièvres romanciers et poètes de l’Amérique de la première moitié du XIXe siècle.

De cette œuvre considérable, on ne retient trop souvent que La Genèse d’un poème , où Poe prétend avoir calculé en détail chacun des effets de son poème Le Corbeau , qu’il aurait écrit à rebours, et Le Principe poétique, traditionnellement considéré – à tort, semble-t-il – comme l’une des premières formulations de la théorie de l’art pour l’art.

Ces deux morceaux ne sont que l’aboutissement d’une série de manifestes critiques dans lesquels Poe s’élève contre toutes les formes du didactisme et du lyrisme de convention. Ennemi acharné de l’improvisation et de la négligence formelle, il fonde sa propre théorie sur le principe de l’effet, qui doit être unique et indéfini (d’où la nécessité du poème court) et dont le seul but est de susciter le «sentiment poétique» chez le lecteur. Ses études sur le vers et les strophes répondent à un souci constant de perfectionnement de l’effet produit. Sa théorie du conte est celle d’un artiste minutieux, soucieux avant tout d’unité (d’intrigue, d’atmosphère et d’effet): aucun élément du conte ne peut être supprimé sans entraîner la destruction de l’ensemble et chaque mot ne trouve sa signification ultime que dans ses rapports multiples avec les autres mots d’une trame admirablement «concaténée », comme disait Baudelaire. Cependant, il n’exclut pas la recherche de la vérité du domaine de la prose et se fait le défenseur d’un symbolisme discret dont la signification se trouve dans un «courant souterrain» à peine suggéré.

Une poétique discutée

Poète par vocation et par «passion», Poe dut renoncer à la poésie entre 1831 et 1845. Ses premiers poèmes, souvent obscurs, sinon incohérents, tel le poème cosmique Al Aaraaf où s’ébauchent les grandes lois universelles exposées dans Eureka , font la chronique des rêves (A-, Étoile du soir, Un rêve ) et des ambitions (Tamerlan ) d’un adolescent romantique qui n’échappe à l’influence de Byron qu’en 1831 avec le rigoureux To Helen et Israfel , où il exprime, en vers délicats d’un lyrisme toujours soumis au contrôle de l’intellect, les tourments et les apaisements de la création poétique. Dans les autres poèmes des recueils de jeunesse, la mort triomphe, point ultime de l’imagination poétique de Poe, dont l’art se fait bientôt plus allégorique. Un drame inachevé (Politian , 1835) et quelques poèmes allégoriques (Le Palais hanté , 1839, et Le Ver vainqueur , 1843) constituent l’essentiel de son œuvre poétique jusqu’à l’éclatant Corbeau, objet de controverses infinies: la musicalité quelquefois artificielle, sinon cacophonique, des longs vers expérimentaux choque de nombreux critiques, tandis que d’autres préfèrent y voir un monologue dramatique d’une grande intensité. Avec Le Corbeau parurent en 1845 des versions soigneusement révisées de nombreux poèmes de jeunesse: outre l’intellectualisation plus grande des thèmes d’où l’autobiographie disparaît, ces révisions confirment la maîtrise grandissante des effets métriques et prosodiques. Les derniers poèmes soulignent encore sa dextérité, comme The Bells et son sens aigu de la musicalité, tels l’exquis Annabel Lee et Ulalume , un oppressant monologue intérieur où il utilise toutes les ressources de l’évocation sonore et de la «monotonie du refrain» pour créer un symbolisme de l’amour spirituel qui paraît encore obscur à certains.

Symbolisme et savoir

De nombreuses recherches ont permis d’établir que l’extravagance apparente de certains contes grotesques relève en réalité d’une intention critique et de l’art parodique. Poe nourrit longtemps l’espoir de publier un recueil intitulé Les Contes du club de l’In-Folio, qui aurait été une série de récits censément composés par les membres d’un club de sots, incapables d’échapper à l’influence des romanciers européens. Ainsi Le Roi Peste (King Pest ) tourne en dérision le Vivian Grey de Disraeli, Metzengerstein et Perte d’haleine (Loss of Breath ) les contes d’horreur du Blackwood’s Magazine ; lady Morgan, N.P. Willis, Horace Smith, Bulwer-Lytton sont parodiés dans Le Duc de l’Omelette, Un événement à Jérusalem (A Tale of Jerusalem ), Silence (Silence. A Fable ). La veine satirique de Poe sera toujours très vive: il s’attaquera aux grands de ce monde, politiciens (The Man That Was Used Up, L’Homme qui était défait; The Devil in the Belfry, Le Diable dans le beffroi ), despotes (Epimanes, L’Homme camé-léopard, ou Quatre Bêtes en une; Hop-Frog ), poètes (Le Rendez-vous ), romanciers et conteurs (How to Write a Blackwood Article, Comment écrire un article à la Blackwood ), métaphysiciens (Bon-Bon ), journalistes (The Literary Life of Thigum Bob, Esq., La Vie littéraire de M. Thigum Bob ) et hommes d’affaires (Peter Pendulum ). Antidémocrate virulent, il séduira Baudelaire par ses dénonciations de la démocratie américaine (Some Words with a Mummy, Petite Discussion avec une momie ). Replacés dans leur contexte historique, ces contes retrouvent la saveur satirique qu’ils ont perdue aujourd’hui et révèlent un écrivain comique de talent.

Il ne paraît pas vain de rapprocher ces héros grotesques des héros tragiques des contes noirs. Après avoir tourné en ridicule le stéréotype du héros moderne où s’incarnent les aspirations et les rêves collectifs d’une époque, Poe en découvre les drames: éperdus de puissance et de grandeur, ses «étudiants» – Ligeia, Morella –, ses artistes – Roderick Usher, le prince Prospero, le peintre anonyme du Portrait ovale (The Oval Portrait ) –, ses fanatiques obsédés ou superstitieux (Le Cœur révélateur, Le Chat noir ) se cloîtrent dans des mondes clos où va se jouer la tragédie faustienne des ambitions mégalomanes. Tous scellent leur destin atroce dans l’algèbre des passions intellectuelles ou amoureuses (Eleonora ) et périssent victimes des fantasmes créés par leur «perversité» ou leur «idéalité pervertie». Passion de savoir et volonté de puissance lancent aussi ses héros dans des aventures maudites où William Wilson et Gordon Pym ne trouveront que l’horreur des mondes intérieurs peuplés d’illusions maléfiques.

Ainsi la symbolique de Poe – maison, dents, yeux, gouffres, masques, périples, couleur blanche –, qui touche au fétichisme du savoir, doit s’étudier dans ses relations avec la psychologie des protagonistes qui se substituent au créateur.

À l’origine de tous ces destins atroces, on retrouve sans cesse le MOT, terrifiant de puissance (The Power of Words, Puissance de la parole ), véhicule du savoir aliénant et image du réel déformée par les miroirs et les étangs où la conscience trouve pâture à des croyances aberrantes. L’art de Poe est d’avoir confié ses atroces récits à un narrateur, intermédiaire entre le créateur et son sujet dont la confession crée une terrifiante dialectique de la raison et de la déraison, de la vie et de la mort, du réel et de l’imaginaire, où se perd la conscience assurée du lecteur envoûté par les jeux ambigus de l’effet.

À ces effroyables victimes d’eux-mêmes s’opposent Legrand (Le Scarabée d’or ), Dupin (Double Assassinat dans la rue Morgue; Le Mystère de Marie Roget; The Purloined Letter, La Lettre volée ) et Poe lui-même dans Eureka. Maîtres d’eux-mêmes grâce à l’équilibre des qualités définies dans Le Principe poétique, ces êtres tripartites («intellect», «sens moral» et « goût») n’ont cédé ni aux tentations de mégalomanie intellectuelle ou artistique ni aux passions exclusives; ils dominent le mystère qui, pour Poe, n’est qu’impuissance de l’esprit et reçoivent, à des degrés divers, la récompense des êtres supérieurs: fortune, vérité, liberté ou, tout simplement, vie, comme le pêcheur danois qui triomphe du Maelström ou le prisonnier de l’Inquisition qui sait retarder la mort par l’exercice cohérent de l’intellect et de l’intuition (The Pit and the Pendulum, Le Puits et le pendule ).

Mais la récompense suprême, réservée à ceux qui osent rêver avant de penser, est la Vérité (par opposition aux vérités fragmentaires qu’offre la science), celle que Poe crut découvrir dans Eureka. Il y expose comment la matière créée par la diffusion soudaine de la cellule «irrelative» qu’était Dieu à l’origine est à la fois matière et spiritualité, tenue en équilibre momentané par les forces contraires de la répulsion centrifuge (l’âme spirituelle) et de la gravitation centripète (le corps): sur cette théorie «rêvée», Poe fonde, par un raisonnement rigoureux qui s’appuie sur les lois énoncées par Newton et Laplace, une cosmogonie, une morale, une métaphysique, une esthétique et la prophétie de la fin puis de la renaissance du monde. Écrite dans une prose admirable de rigueur et de beauté lyrique tout à la fois, c’est l’œuvre la plus méconnue d’un écrivain pour qui la poésie demeura épistémologie supérieure.

Le dossier Edgar Poe

Après plus d’un siècle de controverses, trois tendances se perçoivent nettement: pour la critique historique (illustrée par Stovall, K. Campbell, E. Davidson), Poe demeure avant tout un écrivain romantique et décadent doué d’une vive intelligence critique mais sujet à de graves erreurs de goût. La critique psychanalytique trouve dans l’œuvre de Poe un dossier idéal: Joseph Wood Krutch détecta les symptômes de l’impuissance sexuelle dans la vie et l’œuvre de Poe (1926); Marie Bonaparte y perçut un cas exemplaire de complexe d’Œdipe avec tendances sado-nécrophiliques (1933); Jean-Paul Weber a exposé l’obsession du temps et le refus inconscient du Midi, représentation fantasmagorique de l’acte sexuel parental (1958); enfin Gaston Bachelard, utilisant la psychologie freudienne de façon moins systématique, s’est attaché à révéler l’onirisme fondamental de la création littéraire chez Poe (1942-1944), que Patrick Quinn (1957) a redécouvert grâce à la critique française. La tendance de la critique actuelle est – selon l’injonction de Poe lui-même – à un retour au texte et à l’étude du subtil symbolisme (R. Wilbur, 1959). La découverte du rôle joué par le narrateur est récente. Ses implications multiples n’ont pas encore été pleinement explorées. Le rigoureux rationalisme de Poe et son art «impeccable» ne sont ni totalement révélés, ni universellement reconnus. Mais Poe tend à devenir le «génial imposteur», vocable moderne qui exprime ce qu’il appelait la «faculté d’identification».

Enfin, un débat passionnant se perpétue autour de la vogue de Poe en France, qui contraste assez nettement avec sa réputation dans son pays. Baudelaire, son traducteur et son commentateur le plus clairvoyant, n’est pas le seul responsable de cette gloire mais en est indubitablement l’initiateur. Mallarmé et Valéry découvrirent à leur tour le poète et le philosophe. Tous les symbolistes, de nombreux conteurs réalistes, les surréalistes et les théoriciens du nouveau roman ont, tour à tour, rendu hommage à Poe, dont l’influence sur la littérature européenne demeure un sujet d’études riche encore d’enseignements insoupçonnés.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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